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M' cousène Térése

M' cousène Térése 1



Au siècle dernier, les liens familiaux unissaient davantage les familles.

À notre degré de cousinage, nous étions très nombreux à être apparentés à des familles sédentaires. C'est ainsi que nous avions des liens de parenté avec la famille GRENIER dont il y a encore des représentants à Presles.

D'abord, qui était-ce cette famille GRENIER ? L'ancêtre le plus éloigné de nous est cité à Presles, fin du XVIIe siècle, mais nous n'en détaillerons pas ici toutes les générations.

Nous nous contenterons de nous arrêter à Xavier GRENIER , né en 1849, qui épousa en 1877 Marie-Thérèse JACQUET, née en 1848, sœur de ma grand-mère Mélanie JACQUET.

Le ménage GRENIER -Jacquet, cultivateurs, habitera la maison sur la Place Communale, faisant le coin avec la rue Saint-Georges (tenue aujourd'hui par DEFRENNE, de Châtelet).

Cliché : EVE025

Les villageois donnèrent à cette famille un spot ou surnom, celui « dès Sindjôr », allusion sans doute faite à ce qu'ils habitaient à cette époque près dèl rouwalle Sint-Djôr  susdite, qui maintenant est devenue une rue.

Pour l'état-civil, le ménage GRENIER JACQUET eut deux enfants : Gaspard-Joseph, né en 1880 et Marie-Thérèse, née en 1882. Mais la population savait mieux les reconnaître sous la dénomination de Djosèf Sindjôr et de Tèrése ou Tétéche Sindjôr. C'est à cette dernière, ma cousine, que je consacre cette page de mes souvenirs.

 

Quand j'eus atteint l'âge de trois ans, je commençai à mieux connaître ma cousine qui était mon aînée de vingt-neuf ans. Elle était célibataire et décédera sans avoir été mariée.

Je ne sais ce qui nous attira l'un vers l'autre, car elle m'aimait comme une maman et moi je l'adorais comme un enfant aime sa mère.

Je dois avouer qu'à cette époque, vu mon âge, j'aurais dû aller à l'école gardienne des Sœurs, mais ma répulsion pour les Religieuses fut des plus grandes ; j'en avais une peur bleue, leur accoutrement d'alors m'effrayait et, jusqu'à cinq ans et demi, je baguenaudai autour de la maison de grand-mère, située à rue Al Croix, en compagnie de ma cousine Thérèse.

Je dois dire, maintenant quand j'y pense encore, que ce fut pour moi ma première institutrice car, bien que la population la disait un peu « bèbètte et sosotte », elle en connaissait des choses de la nature.

Bien sûr, elle parlait beaucoup mieux son patois que la langue française qu'elle estropiait sans s'en douter, ce qui faisait rire les auditeurs avec qui elle tenait conversation. Ne se fâchant pas, elle riait elle-même de ses bévues comme une folle.

C'était une grande jeune fille, à la mode de son temps. Son chignon noir était enserré dans un foulard à carrés noirs et blancs ou bleus, ce qui faisait ressortir les pommettes de ses joues saillantes, rouges, pleines de santé, dans ce visage allongé déjà un peu tanné par l'air de tous les temps, comme l'étaient ceux de toutes les filles de cultivateurs de cette époque qui travaillaient aux champs.

Sa taye, blouse de couleur claire ou sombre selon les saisons, couvrait sa large poitrine, sur laquelle tombait une médaille de la Sainte Vierge attachée à une chaînette entourant son cou. Sa longue robe de couleur pareille à sa blouse lui descendait jusqu’aux pieds, chaussés de sabots de saule.

Aux rouwales ou reuwe Al Crwès, de la maison de grand-mère, je guettais la venue de ma cousine avec le troupeau de vaches qu'elle conduisait au pâturage. Dès qu'il était en vue, je courais à sa rencontre et, dans mon jargon d'enfant, je criais de loin « bondjoû cousène Tétéche ». Elle en était si heureuse et si contente qu'elle m'embrassait en me donnant de gros bètchs (baisers) à n'en plus finir tant nous aimions nous retrouver ensemble.

À cette époque, c'était encore le temps d'aller au tchamp avou lès bièsses faire pâturer les bestiaux sur les prairies ou dins lès steûles sur les champs dont le cultivateur avait fait la récolte. Il fallait quelqu'un pour garder les bestiaux afin d'empêcher qu'ils s'égaillent sur les biens étrangers ou dans les cultures en place ou encore sur pied.

À mon âge, j'avais un plaisir fou d'accompagner Tétéche et son chien Marquis, sur les prairies ou les terres des Rouwales, du Tienne Colau ou du Tienne Magno ou dèl Djambe di bos, lieux-dits des prairies et des terres appartenant à la famille GRENIER. Nous passions ensemble des journées que je n'ai pas encore oubliées.

Qu'il fasse beau ou mauvais temps, Tétéche était au champ avec ses vaches et mon plaisir était d'autant plus grand qu'à mon âge, j'apprenais déjà une foule de connaissances qui m'instruisaient sur la beauté de la nature.

Car, quoique la population ait dit que Tétéche était sosotte, pour ce qu'il en était de la nature, elle la connaissait bien. Où que nous nous trouvions à faire tchampyî (pâturer) les vaches, ma cousine avait toujours quelques nouveautés à m'apprendre ou à me montrer.

Ainsi, dans son patois, elle me disait en me les désignant : « Vèyoz, nosse pitit, çoula c'è-stin pichoulît, èt ça c'è-stène linwe di tchén » (plantain) (Voyez, notre petit, cela c'est un pissenlit et ça une langue de chien (plantain) ou bien in lairdjon (laiteron), « c'èst bon pou lès lapins » (c'est bon pour les lapins). « Cela, me disait-elle, c'est du milletraus » (millepertuis), « c'èst bon pou lès catâres » (rhumes), « ceci, c'est dèl cintaurèye, c'èst bon pou l'sang » (ceci, c'est de la centaurée, c'est bon pour le sang). Celle-ci, « c'èst déle fumetêre dou pougnoû sauvadje  (thym, serpolet), dèl rinne di prés, dès djènesses pou fé dès ramons (balais de genêt pour nettoyer les étables, etc.)» (Celle-ci, c'est du thym serpolet, de la reine des prés, des genêts pour faire des balais, etc.).

Son savoir était tellement étendu que, quand j'y songe encore, je les revois toutes ces plantes sauvages, tous ces simples, sous le nom wallon qu'elle me disait, ne sachant sans doute pas le nom français. Néanmoins, elle les connaissait bien les simples qui croissaient sur le territoire et savait les distinguer : les bons pour faire les thés ou des remèdes pour les gens et les animaux, les mauvais qu'il fallait détruire.

À tout cela s'ajoutait les arbres, elle me les montrait en les dénommant comme : li tchînne (chêne), bôli (bouleau), frane (frêne), tyou (tilleul), fau (hêtre), tchaurnia (charme), sayu (sureau), purnèlî (prunellier), aunia (aulne), sapén (sapin), pouplî (peuplier), grète-cu (houx), spènes (épines noires), pètchî (épine blanche), etc., etc., me donnant une explication tant sur leur mode de vie, que sur ce qu'on pouvait faire avec le bois, le feuillage ou leurs fruits.

Dans le domaine des oiseaux, des insectes Tétéche était intarissable et j'avais plaisir à l'écouter, apprenant, à mon âge déjà, à savoir reconnaître les faubites (fauvettes) des masindjes (mésanges), les mièles (merles) des grîves, les cwarbaus (corbeaux) des tchauwes (corneilles) et des agaces (pies), et aussi tant d'autres espèces d'oiseaux.

Dans le monde des insectes, c'était tout pareil : les baloujes (hannetons), les bièsses à bon-diè ou pèpins-mârtins (coccinelles), les papillons paons, machaons, aux riches couleurs des simples papillons blancs ou verdâtres qui éclosent au printemps. Les sautrales des coqs d'awvous (sauterelles-criquets) et toutes les alènes (chenilles) qui étaient nuisibles à la végétation, etc.

Elle distinguait les crapôds (crapauds) des guèrnouyes (grenouilles), les rats des soris (souris), les rates (mulots) des fougniants (taupes), ainsi que d'autres rongeurs utiles ou nuisibles, destructeurs de l'agriculture.

Tout cela était dit par Tétéche dans son patois, s'amusant de ma surprise lorsqu'elle faisait une grimace pour dire qu'une telle bestiole était mauvaise ou bonne.

Bien sûr, je ne pourrais tout raconter ici, tellement le savoir de m'cousine Tétéche était vaste et étendu, étant tous les jours en contact avec la nature, elle pouvait observer la vie des plantes, les mœurs, des animaux et retenir beaucoup de choses tout en examinant le temps qu'il faisait et prédire celui de demain.

Les heures, avec elle, passaient vite et nous arrivions à l'heure du dîner (maintenant on dit déjeuner) sans nous en apercevoir. À midi, quand Tétéche venait près de chez grand-mère aux Rouwales, elle venait prendre la soupe et dîner avec nous. Mais lorsque nous nous en trouvions éloignés, nous prenions notre ravitaillement pour la journée et faire la dînette au r'cwè d'ène aye ou d'in bouchon (à l'abri d'une haie ou d'un buisson) en nous asseyant sur le pré.

Ma cousine Tétéche avait son ravitaillement dins s'nwâr tchèna à couviètes (panier noir à couvercles), qui était de mode en ce temps-là.

Je savais que Tétéche avait toujours quelques bonnes choses dans son panier et qui me feraient plaisir, soit une grosse belle-fleur de pommier, ou des poires grisettes sucrées et savoureuses, des culs-dorés ou des prunes, quelques morceaux de sucre candi, des anis, un morceau de chocolat ou une bonne galette, grosse et savoureuse, cuite au feu de bois et dont les ménagères du temps passé avaient de bonnes recettes. C'était notre dessert, après avoir dîné avec des tartines d'un pain de swale (seigle) bourrées d'une omelette au lard ou au jambon et buvant notre café à même le bidon.

Pendant la pause de midi, quand nous nous reposions à l'ombre ou à l'abri d'une grande haie, le chien Marquis veillait, et sur un ordre de sa maîtresse, ou même sans rien lui dire, sachant faire son service, il s'en allait rechercher une vache qui voulait s'égarer en dehors du pâturage.

Je l'aimais bien « mon chien Marquis », c'était un brave et fort chien berger noir qui savait au moindre signe comprendre ce qu'on attendait de lui. En sa compagnie, nous formions un trio de grands amis ; Marquis aurait su, à la rigueur, nous défendre.

Quand la saison était mauvaise, que le vent soufflait en tempête, faisant craquer les branches d'arbres et courber l'échine des plantes et des gens, que la pluie survenait soudainement, les fermiers d'alors n'arrêtaient pas, pour l'une ou l'autre de ces raisons, le pâturage, les bestiaux devaient manger comme leurs maîtres. En raison de ces intempéries, Tétéche prenait son en-cas, grand parapluie noir du genre de celui des pêcheurs, qui pouvait abriter du vent ou des ardeurs du soleil toute une famille.

Pour nous protéger de la pluie et du froid, nous avions de bons et grands cabans que nous jetions sur nos épaules en rabattant le capuchon sur notre tête. En plus de cela, ma cousine m'abritait encore sous le sien qui était grand et lâche, elle me serrait contre elle pour que je ne sois pas mouillé ou que j'aie bien chaud. Notre chien, Marquis, s'abritait de son mieux entre nos jambes.

Étant ainsi vêtus de nos cabans, le grand parapluie ouvert, nous ressemblions à deux Sint-Grégôre allusion faite en pensant aux écoliers de la Saint-Grégoire qui s'affublaient d'oripeaux. Divaguant sur la campagne, riant et nous moquant de la pluie ou du vent, en compagnie du berger Marquis qui nous suivait en jappant, nous faisions front aux fléaux de la nature.

Parfois, quand il faisait beau, Chanchès Tibaut, François THIBAUT, aussi célibataire endurci et désœuvré, venait nous tenir compagnie une heure ou deux. Avec ce compagnon, le temps passait vite, trop vite à mon gré ; qu'avidement, j'aurais voulu qu'il dure plus longtemps, car tous deux savaient me raconter de belles histoires d'antan ; mais les histoires de Chanchès sont encore des autres histoires.

La journée déclinant, nous prenions ensemble le goûter sur le pré, dans le bon air pur des champs parfumés des senteurs de la nature.

Cinq heures arrivant, cousène Tétéche rassemblait son troupeau en appelant ses vaches par leur nom : Nènètte, Blanke, Floriye, Nwaraude, etc., ou sur son ordre, Marquis allait rechercher une attardée ou une traîneuse, pour rentrer et faire la traite dans l'étable de sa maison.

Pour moi, la journée se terminait toujours trop tôt, j'accompagnais cousène Tétéche faisant un bout de chemin avec elle jusqu'à la séparation. Une dernière caresse à Marquis, un bonsoir à ma cousine avec un gros bètch (baiser), nous nous quittions en pensant déjà au lendemain.

Aujourd'hui, le champyadje ou pâturage ne se fait plus. Sur les prés, sur les champs, il n'y a plus de Cousène Tétéche pour garder les bestiaux. Les prairies qui restent encore sont clôturées de piquets et de fil de fer, même des clôtures électriques sont installées pour en défendre l'accès et retenir les bestiaux sur le pâturage.

Ah ! Au temps des cousène Tétéche, quel bon temps c'était que de vivre !

1 Publié en 1981 in Il était une fois…

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