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Li blanc Bratchote

Li blanc Bratchote 1



 

 

Situation des bois, plan cadastral de P.C. POPP 1860-1880

Les histoires de chasseurs seraient incomplètes si nous ne parlions pas de celles des braconniers.

Au droit de chasser est lié le braconnage. Aussi, en ces pages, nous dirons quelques mots de ces deux disciplines : l’une autorisée, l’autre prohibée par les règlements.

Le régime féodal réserva le droit de chasse aux seigneurs. Le manant et le bourgeois n’avaient pas droit à ce noble sport.

Ce sera plus tard que les seigneurs concédèrent à leurs vassaux une partie de leur chasse moyennant une redevance ou un quelconque avantage. Cet usage coutumier fut appliqué aux mêmes conditions pour la pêche dans les eaux courantes ou dormantes se situant sur le territoire.

Des édits, des ordonnances furent nécessaires pour réglementer la chasse et la pêche ; malgré tout, des abus se produisirent et le braconnage sévit à Presles et ailleurs dans les deux cas : soit dit, autant pour le gibier que pour le poisson.

En principe, l’ouverture de la chasse se faisait le 1er octobre et la fermeture au dernier jour de mars. Nous observons cependant des dérogations, surtout pour le jour de l’ouverture. Généralement, elles sont dues à une mauvaise année. La saison d’août est retardée par les intempéries et les récoltes en subissent le contrecoup et sont évacuées des campagnes plus tardivement.

Au cours des ans, il arriva que des terres emblavées de grains : « swale » (blé), « spiète » (épeautre), ou autres graminées ne furent vidées de leur récolte qu’avec peine et beaucoup de difficultés. La moisson était compromise si elle n’était pas tout à fait perdue.

Heureux était le fermier-cultivateur qui avait la chance de sauver ses récoltes d’un désas­tre. Car, au temps jadis, nous avons pu retrouver dans des documents, des relations relatives à des années pauvres, des périodes où la disette et la famine régnèrent, assaillant la population, qui n’avait déjà pas de trop pour survivre dans les années grasses et riches.

Dans de pareilles conditions, provoquées par les révolutions atmosphériques, la sécheresse jouait aussi son rôle.

Mais ici, il est bien entendu que lorsque les années étaient mauvaises et pluvieuses, les récoltes étaient retardées, les terres n’étaient vidées que bien tardivement, ce qui provoquait ainsi un retard pour l’ouverture de la chasse.

Toujours en principe, le droit de chasser est seigneurial et appartient au seigneur du lieu, en l’occurrence ici aux seigneurs de Presles, qui peuvent y associer leurs invités, soient-ils nobles ou non.

Ci-devant, nous l’avons dit, la chasse était réglementée. Que pouvait-on chasser au temps jadis ?

Très tôt, au XIIIe siècle, si pas déjà avant, le Chapitre de l’Illustre Cathédrale de Liège, qui était possesseur de la terre de Presles, par des édits et des ordonnances, réglementa le droit de la chasse. Après eux, les princes-évêques de Liège renouvelèrent et parfois augmentèrent les mêmes édits et ordonnances.

Selon la teneur des documents, nous constatons que tous ceux à qui une licence a été octroyée peuvent tuer toutes les bêtes sauvagines sur tout le territoire seigneurial, c’est-à-dire Presles, Roselies, Evesquoy (Bas-Sart). S’entendaient par là les lièvres, les renards, les loups, les tassons (blaireaux), les spirous (écureuils), les chats sauvages, les faisans, les grives et les coulons des bois (ramiers), les canards et les oies sauvages.

Il était défendu de toucher aux connins (lapins) et au gros gibier tel que les porcs sangliers, les chevreaux et les biches les cerfs et tous autres bestioles ou volatiles seigneuriaux.

Ces édits et ces ordonnances durèrent jusqu’à la fin de l’ancien régime et demandent quel­ques lignes d’explication car dans la teneur des documents, il est fait remarquer que « les bêtes sauvagines réservées aux chasseurs qui procéderont à leur destruction est une utilité publi­que aux biens et que les grains et les marsages en seront mieux conservés et protégés ».

En résumé, seuls les seigneurs et les privilégiés ont le droit d’abattre le gros gibier et les volatiles seigneuriaux, que nous supposons être les perdrix, les cailles, les poules d’eau, les bécasses et, sans doute, quelques autres oiseaux pour faire bonne chère.

Nous observons aussi une chose, celle que les lapins ne peuvent être tués par les manants et les bourgeois. On sait que les lapins produisaient des dégâts aux cultures. Il y a cin­quante ans, ces mammifères rongeurs très prolifiques, dont la race sauvage ou « lapin de garenne » creuse des terriers dans les terrains sablonneux et boisés, peut avoir par année trois ou quatre portées de quatre à dix petits chacune, produisaient tellement de dégâts aux cultures que les comtes d'OULTREMONT eurent fort à faire pour dédommager les cultivateurs-riverains de leurs bois et de leur domaine.

Il y a lieu de penser, soit que les lapins étaient rares à cette époque des seigneurs ou qu’il y avait une autre raison, que nous n’avons pu découvrir, qui interdisait aux manants et aux bourgeois de tuer les lapins.

Aux habitants de la communauté presloise, ne sont laissés que les mordants et les lièvres, ce qui est assez curieux, car ces bestioles et ces rongeurs sont reconnus destructeurs des emblavures et autres cultures, mais le lièvre est un gibier de choix.

En résumé, de la teneur du document, le droit de chasser était donc partagé entre le sei­gneur et les habitants du village ; il s’agissait de savoir discerner ce que les uns et les autres pouvaient tuer.

Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, lors des Plaids Généraux, les seigneurs de Presles se plaignent souvent en remontrant que les habitants du village chassent indûment sur le territoire.

Les bourgeois et les manants qui voyaient leurs cultures ravagées par les animaux sauvages ne pouvaient pas se plaindre et demander des dommages-intérêts pour le préjudice produit par les gibiers dites seigneuriaux.

Le pauvre hère d’alors, voyait son maître, le seigneur, abattre sur son champ ou son pré du gros gibier, que lui nourrissait, du moins en partie. Le seigneur pouvait avoir sa table bien garnie de bonnes viandes des bêtes sauvages, tandis que lui, manant ou bourgeois, disposait seulement des restes.

Dès lors, constatant qu’il y avait une différence de classe, des habitants du village tue­ront clandestinement du gros gibier, quand une occasion se présentera et qu’elle restera ignorée des sergents banaux ou seigneuriaux.

À toutes choses réglementées, certains, surtout en Belgique, ont la tentation de faire le contraire.

Laissons les chasseurs à leurs exploits et parlons un peu de ceux des braconniers.

Au temps passé, la forêt, les campagnes étaient giboyeuses ; la faune aujourd’hui devient de plus en plus réduite, ravagée et anéantie quelle est par la myxomatose (maladie infectieuse du lapin, due à un ultravirus) et les effets nocifs de la pollution.

Dans notre village vécurent des braconniers notoires, célèbres dirai-je, qui aimaient raconter leurs exploits.

De tous ceux qui enfreignirent la loi, en braconnant, nous conterons deux faits vécus par « li Blanc Bratchote ».

Issu de la famille BRACHOTTE, « li Blanc » avait par plaisir ou distraction la passion du braconnage.

Au temps de notre enfance, nous avons eu la chance de faire la connaissance du « Blanc ». C’était un homme fort, plein de courage, intrépide nous dirons, qui, arrivé dans le temps de sa vieillesse, aimait raconter à ses auditeurs plus jeunes ses exploits cynégétiques, bien sûr prohibés par la Loi.

Gamin, nous aimions entendre conter le « Blanc », enthousiasmé dans ses aventures, ses odyssées d’autrefois. Pour ceux qui avaient la patience de l’écouter, il était un maître qui connaissait les mœurs du gibier et les moyens prohibés pour savoir le prendre, mais avec tous les risques de se faire prendre soi-même au piège des agents-forestiers ou des gendarmes.

Ses connaissances dans le domaine du braconnage étaient étendues : mœurs du gibier, pistes, sentes, poses de bricoles et lacets, etc., tout cela commenté dans le langage du terroir ; plus tard, je me rappelai ses dires lors de mes études de la sylviculture et de la pisciculture aux Écoles de Mariemont.

En ce temps-là, la faune était riche (nombreuse) et variée et pourtant « Li Blanc Bratchote » ne se contentait pas de piéger un lièvre, un lapin sur la chasse de Presles. Il voyait plus grand et dans son esprit d’aventurier, il allait seul ou en compagnie braconner ailleurs.

Oyez celle-ci :

Or, un jour, ce qui arriva plusieurs fois, « li Blanc » décida d’aller braconner à Loverval, dans les bois du Prince de Mérode.

À cette époque, dans la forêt, appartenant à la famille de Mérode, le cerf et le chevreuil étaient encore abondants, quoique plus près de nous, dans les bois de Châtelet ou du Sart-Eustache, ce gibier de premier choix avec ses sangliers peuplaient les bois.

Or donc, « li Blanc » s’étant rendu de la journée à Loverval, eut tôt fait de reconnaître quelques passages des chevreuils. S’étant préalablement muni de tout ce qui était nécessaire pour faire des lacets, il eut vite repéré le bon endroit pour prendre un chevreuil.

Courbant un jeune baliveau et attachant solidement la tête à un arbre, il lia un lacet qui était suspendu au-dessus du passage et à hauteur suffisante pour qu’un chevreuil se fasse étrangler dans le nœud coulant du piège. L’animal cherchant à se dégager, gigoterait et libérerait le jeune arbre de son attache. En se redressant le baliveau reprendrait sa position normal et la bête prise dans le nœud coulant resterait pendue et cesserait de vivre.

Ayant fait deux ou trois pièges de cette espèce, « li Blanc » s’en revint tranquillement pas­ser le reste de la journée en sa maison.

À la nuit tombante, « li Blanc Bratchote », accompagnée d’un apparenté nommé Fosseur (autre braconnier notoire), et « Fonse dou Tchanetî », porteurs de grands sacs, s’en allèrent vers Loverval. À travers la campagne, cette promenade nocturne conduisit les trois compagnons auprès des pièges posés dans la journée par « li Blanc ».

Le résultat était bon, un, parfois deux chevreuils s’étaient fait prendre dans la bricole et attendaient la délivrance. Bien souvent, l’animal avait cessé de vivre.

Il ne s’agissait plus pour les hommes que de le dépendre, de le mettre dans un sac et de s’esquiver au plus vite des lieux de leurs exploits.

Comme « Fonse dou Tchanetî » me contait ces équipées, il arrivait parfois que deux che­vreuils s’étaient laissé prendre aux pièges. En ce cas, le retour au village était laborieux, le che­min était long et la charge sur les épaules devenait lourde et pénible à porter. Les hommes pei­naient dur, suaient sang et eau, car il fallait rentrer vite sans se faire remarquer de quelque noc­tambule. Restant joyeux et riants, ces hommes audacieux, téméraires, étaient satisfaits et contents de leurs prises, bien que titubant de fatigue.

Au cours de leur vie, ces exploits cynégétiques prohibés furent renouvelés des centaines de fois. Les autorités préposées à la surveillance des bois et des campagnes savaient que « li Blanc Bratchote » braconnait, mais rarement ils arrivèrent à le prendre sur le fait.

Oyez encore celle-ci, qui est une vraie et succulente « pasquéye » - histoire !

Or donc, un jour, « li Blanc Bratchote » qui était dans les bois de Châtelet, braconnait sans savoir que sa maison était cernée par des gendarmes. Ce piège inattendu devait normalement faire appréhender « li Blanc » au moment où il reviendrait du bois en rapportant son butin, bien sûr des lièvres ou lapins.

Le temps passait, « li Blanc » ne revenait pas et les gendarmes s’impatientaient dans l’attente de son retour.

Tout à coup, la porte de l’écurie s’ouvre et l’épouse du « Blanc » sort sa brouette sur laquel­le est déposée une toile de « jute » (espèce de grande toile d’emballage qu’on nommait « serpillère »).

Il faut savoir qu’en ce temps-là, les petits ménages avaient, qui une ou deux chèvres, qui des moutons, voire même un porc ou une vache. Il était d’usage d’aller dans les bois chercher des herbages pour « rafourer » les bestiaux, c’est-à-dire, non pas essentiellement leur donner de la nourriture à bon marché, mais plutôt « pou stièrni lès bièsses avou des sayes ou dès fènasses » pour en faire une litière.

Le temps passe encore et la gendarmerie s’impatiente plus encore. Quand, tout à coup, de la lisière du bois, sort l’épouse du « Blanc » ramenant de la brouette chargée de « linçurnées », fourrages renfermées dans la toile de jute, mais non accompagnée de son mari-braconnier.

Tête des gendarmes devant ce spectacle inattendu, laissant passer la bonne femme qui rentre chez elle en ayant soin, bien entendu, de refermer la porte de son écurie.

Les gendarmes de faction, postés autour de la maison du « Blanc » savent qu’il est au bois et pourtant… Après encore un moment passé, la fenêtre de la chambre à coucher s’ouvre à deux battants et apparaît « li Blanc » en chemise, étendant les bras, s’étirant et humant l’air pur comme quelqu’un qui a fait un bon somme et passé une bonne nuit.

On s’imagine facilement la déconvenue des gendarmes qui ont monté la garde pendant plusieurs heures et n’ayant pu prendre le braconnier.

Notre Preslois « li Blanc Bratchote » était né malin. Son épouse avait reçu des instructions de son mari : si les gendarmes entouraient leur maison, elle viendrait au bois pour le prévenir de ne pas rentrer.

Ce jour-là, « li Blanc » paya d’audace : se cachant dans les fourrages renfermés dans la serpillère, il rentra dans sa maison au nez et à la barbe des gendarmes.

Mais, dira-t-on, que pouvait donc faire le ménage avec toutes ces viandes sauvages rappor­tées indûment à la maison ? Sûrement en manger, mais leur destination surprendrait maints lecteurs, mais cela est une autre histoire… dont nous parlerons probablement dans d’autres pages de nos souvenirs.

Quelle fut la fin du braconnier « li Blanc Bratchote » habitant une maison du hameau de la Sarthe, à Châtelet ? Un jour on le retrouva assassiné. Par qui et pourquoi ? Règlement de comp­tes ou autre ? Tel resta le mystère de sa mort. À cette époque, bien des crimes restèrent des énigmes pour la justice et les habitants, voir aussi celui de « Tchanchè Tibau », autre braconnier de Presles.

Notre braconnier s’appelait François-Antoine BRACHOTTE, né à Presles le 2 juin 1854. Il était fils de Philippe et de Marie-Françoise MARCHAND. Son frère, Jean-Baptiste BRACHOTTE, était boulan­ger à la rue Haute et ses descendants œuvrent toujours dans ce métier : André avec ses fils à Pontaury (Mettet) et Octave avec sa famille à Le Roux.

 

Bibliographie

Tirions R. Chasseurs de la nuit, qui êtes-vous ? in Le Guetteur Wallon n° 2. 1977

 

 

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