Outils personnels

Le garde-champêtre

Li champète dou viladge 1

 

 

Cliché DOC030

"Le garde champêtre du village"

 

Pendant tout le temps que dura le régime seigneurial, la communauté presloise fut proté­gée, surveillée par des sergents, serviteurs de la Cour de Justice, mais nommés par le sei­gneur du lieu, comme en fait foi la charte de l'an 1591.

Extrait 2 :

«Peult ledict seigneur de presle, faire establir trois sergents en ladicte seigneurie, come à prelle, à rohillie et à everescoy et à chascun desdicts lieux ung, aprez lesquelz sergents les eschevins doient ijuger».

Les sergents étaient assermentés, sur la base de leurs rapports remis au greffe, la Cour de Justice arrêtait ses décisions. La charge rapportait à son titulaire une partie des amendes, certains avantages et, tous les ans, un costume et deux paires de chaussures. Le travail du sergent n'était pas des moindres, car la Cour instruisait toutes les affaires.

Agent de police, il devait maintenir l'ordre partout dans le village. Sa surveillance s'éten­dait aussi bien sur les champs que sur les bois et tous les biens. Il veillait à ce que soit respecté le couvre-feu et que la cloche de la retraite soit sonnée. Il procédait à la recherche, l'appréhension et l'arrestation des délinquants et des crimi­nels. Il dressait des contraventions, mettait en fourrière les bestiaux trouvés en état de vagabon­dage, ou en délit de pâturage.

Messager, il apportait les plis, convocations aux habitants du village ou aux étrangers, criait les ordonnances, parfois au son du tambour.

Fonctionnaire aux ordres de la Cour, il procédait aux saisies, à l'exécution des arrêts, aux ventes par arrêts de justice, convoquait les habitants aux Plaids généraux (de la Saint Rémy et du Jour des Rois) ; faisait observer les ordonnances et placards de la Cour de Justice, rue du Souverain.

En signe de son autorité, il portait une verge, une baguette ou un bâton ; la privation de son insigne équivalait à une dégradation. Il effectuait son service à pied, parfois à cheval et, quiconque l'insultait dans l'exercice de ses fonctions s'exposait à une amende.

Après la chute du régime seigneurial, la police, qui était assurée par les sergents, fut confiée à des gardes-champêtres et des gardes forestiers.

Dans la première moitié du xx e siècle, notre cousin Julien MOLLET fut appelé à remplir les fonctions de garde-champêtre.

Le travail du champète de notre village sera à peu de choses près le même que celui des sergents, comme nous l'avons dit ci-avant.

Bien sûr, il n'y aura plus d'assemblées aux Plaids généraux et, des gardes forestiers remplaceront les gruyers, sergents des bois.

Julien MOLLET devra assurer la surveillance et la tranquillité du village autant de jour que de nuit, néanmoins, il pourra avoir recours à la gendarmerie lorsqu'il le jugera utile. Des gen­darmes coiffés de leur bonnet à poil passaient à cheval dans le village, assurant ainsi une surveillance supplémentaire.

À cette époque, étaient rares ceux qui se plaignaient d'avoir été volés. Par contre, les braconniers ne se gênaient pas de descendre un lièvre ou un lapin au fusil, ou de les prendre avec des bricoles.

Nous ne nous égarerons pas dans tout le fouillis des paperasses que notre cousin Julyin devait écrire, et porter à la signature au château (le comte Jacques d'OULTREMONT était bourgmestre du village, ou aux habitants)… pas plus que dans les formulaires des déclarations de chiens, des recensements des bes­tiaux, des cultures et, beaucoup d'autres choses que le champète en fonctions devait accomplir.

 

Un jour, pour une raison de service, notre champète s'était rendu jusqu'aux réservoirs d'eau potable qui servent à l'alimentation des habitants du village (quand il y avait assez d'eau) et qui sont construits dans les bois des Binches, au lieu-dit Taye dès Potîs.

S'en revenant de là, par la Taille des Larrons, notre champète tomba sur un homme qui était occupé à ramasser du bois mort.

S'étant salués, Julien MOLLET dit :

« I gn'a drolà pu lon ène tièse di tchène. Qu'èst tcheute à tère, pau grand vint qui gn-a ieû là saquants d'joûs. Ti n'as nén ène atche ou ène saupe, ti pourès l' iscôper èt t'arès bramint dou bos ». (« Il y a là-bas plus loin une tête de chêne qui est tombée à cause du grand vent de ces derniers jours. N'as-tu pas une hache ou une serpe, tu pourrais la découper et tu aurais beau­coup de bois »).

Heureusement le bonhomme qui habitait Châtelet n'avait aucun outil.

Car, s'il était permis de ramasser du bois mort, il était défendu d'entrer dans les bois avec des outils tranchants. Notre cousin MOLLET, aurait pu les confisquer et lui dresser un procès-verbal.

 

Li champète di nosse viladje aimait bien boire une bonne goutte de péket.

Il nous revient, que tous les jours en faisant sa tournée, il passait à l' cinse di Gôlias pour boire saquantès gouttes avou l' cinsî. Que Julien ait affaire chez un particulier ou l'autre, on connaissait son penchant pour le bon péket, et une bonne potée lui était donnée de bon cœur, car, il savait rendre service à ses concitoyens.

 

Un autre jour, s'étant rendu dans une ferme pour faire le recensement du cheptel et des cultures, il s'assit à la table pour remplir les formulaires. Li cincerèse (la fermière) apporta la bouteille de péket, et des verres qu'elle remplit. Le champète délaissant ses écritures, en prenant son verre et choquant la bouteille, dit : « A Vosse santè ! » ; il avala d'un trait sa grande goutte mais n'oublia pas tout aussitôt de remplir son verre.

Notre cousin Julien MOLLET était un brave et honnête homme, qui aimait à s'amuser au village, et les fêtes communales lui valurent de bonnes ribotes (excès de table et de boissons). Mais - que voulez-vous ? - au temps passé dans notre village, à part les amusements des cabarets, il fallait bien se rattraper aux jours des dicôses, les fêtes communales.

Selon les circonstances, notre fonctionnaire assermenté chaussait de fins ou de gros souliers dont les semelles étaient garnies de clous.

En hiver, le champète garnissait ses jambes de guêtres de bon cuir pour faire la tour­née du village endormi sous une épaisse couche de neige, ou quand les habitants restaient ren­fer­més chez eux lorsque la bise glaciale soufflait. Lui, le champète, par tous les temps, devait accomplir son service, et une tasse de bon café noir et chaud, augmentée d'une bonne goutte de rhum, et de sucre, était le remède attendu pour lui permettre de continuer sa tournée et sa surveillance.

Aux Rouwales (rue Al Croix) notre cousin Julien MOLLET avait son coin, chez notre grand-mère qui était sa tante, puisque la maman de son épouse était li grosse Gravy, sœur de mon grand-père Alexis GRAVY, parfois, il se laissait aller à somnoler, mais quand il était en verve, il aimait nous raconter de belles histoires.



Et ici, il nous revient à l'esprit un fait qui s'est passé au temps qu'il était encore gamin.

Au temps passé, comme d'ailleurs à notre temps, dans notre village, les enfants faisaient les mascarades (quêter le Mardi Gras en se déguisant). Or donc, une année, Julien Mollet, dit à Sintdjôr (Gaspard GRENIER) notre autre cousin :

« Vouce, Sintdjôr, nos f'rons lès mascarades li djoû dou maudi-gras » (« Veux-tu Joseph, nous ferons le Mardi Gras »).

« Mî, dis-st-î, Sintdjôr, dis vou bén, mins qwèce qui nos f'ront » (« Je veux bien, dit Joseph, mais que ferons-nous? »).

« Bé, dit-st-î, Mollet, djî m'abiyerai avou dès vîyes loques èt djî machrai m'visadje avou dè l'couleûr » (« Eh bien, dit MOLLET, je m'habillerai avec de vieux vêtements et m'enduirai le visage avec de la couleur »).

« Et mî, dit-st-î, Sintdjôr » (« Et moi? dit Joseph »).

« Bé, dit Mollet, ti f'ras come mî èt nos f'rons l'sot èt nos-arons bramint dou plaijî .» (« Et bien, dit MOLLET, tu feras comme moi et nous ferons le sot et aurons beaucoup de plaisir »).

Au cours de l'été, le champète faisait sa tournée avec son fusil, tirant par ci, par là, des coups de son arme sur une bande de corbeaux qui s'abattaient sur un champ de froment d'un culti­vateur du village alors que les grains étaient presque à point pour être fauchés à la main.

Pendant la période sèche de l’été, on pouvait voir le champète chaussé de ses gros sou­liers, vêtu d'une culotte de toile bleue et d'une blouse de travail ou sarrau de toile grise, un mou­choir rouge à pois blanc autour du cou et coiffé d'un grand chapeau de paille à large bord, portant sur le devant l'insigne de ses fonctions.

Au long des chemins communaux, le champète fauchait les mauvaises herbes et rabi­nait (taillait) lès spènes èt lès bouchons (épines, ronces, etc.) qui pouvaient entraver la circula­tion sur la voie publique. Le tout, rassemblé et séché, était brûlé sur place par lui-même.

Si notre garde-champêtre s'activait à tenir en état de propreté la voirie communale, il aimait que les riverains en fassent tout autant en taillant les haies, faucher ou arracher les mau­vaises herbes qui croissaient le long de leurs héritages.

En ayant été le témoin, nous l'entendons encore dire dans notre langage local, ce qui suit :

« Faura r'waitî di tayî voss' aye » («Il faudra penser à tailler votre haie »).

Ou

« Faura r'nètchyî mia qu'ça vosse richot èt satchî lès sauvadjes ièbes li long di vosse meûr, pou quand djî r'passeré pâr ci, sinon… » (« Il faudra mieux nettoyer votre caniveau et enlever les mauvaises herbes le long de votre mur pour quand je repasserai, sinon… »).

Julien MOLLET s'en allait tout souriant sachant que l'on procéderait au travail, qui obligatoire­ment devait être fait, si on ne voulait pas être condamné à payer une amende.

Julien MOLLET était né à Presles le 5 février 1873, fils de Nicolas et de Marie-Thérèse JACQUEMAIN. Il épousa Éloïse LAMBOT, née à Presles le 29 juin 1873, fille de Stanislas et d'Angélique GRAVY.

Ils demeurèrent dans la première maison à gauche, dans la rue de l'Église, ayant eu de leur mariage un fils, nommé Julien, qui sera facteur des postes à Châtelineau, se maria et décè­dera à Roselies.

En 1937, lorsque Julien MOLLET, champète dou villadje prit sa pension, il avait un traite­ment annuel de 6 000 francs, deux costumes et deux paires de souliers.

C'était peu pour un homme qui seul, nuit et jour, devait assurer la surveillance de la com­mune.

1 Publié en 1989 in Us et Coutumes I.

2 Arch. Ét. Mons, copie du renouvellement de La charte de Presles, l'an 1591.

 

 



 

Actions sur le document