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Un site champêtre : Presles

Un site champêtre : Presles 1



Paul Ereve



Au sortir de Châtelet, la route de Namur file, sur une bonne lieue, en ligne droite, entre des champs fertiles jalonnés de maisons et de jardins, vers un horizon barré de forêts.

Cette lisière atteinte, brusquement, elle décrit une épingle à cheveux vertigineuse en fran­chissant un étroit ravin et l’on se trouve en présence du plus joli des décors campagnards. Un petit village avec ses maisons éparpillées sans ordre apparent, blotti au fond d’une vallée que dominent des sommets agrestes dont l’altitude ne dépasse pas deux cents mètres. Vers le nord se profilent sur d’épaisses frondaisons, le clocher et la pointe de pignons à girouette ou à lanterneaux d’un château. C’est Presles.

Descendons dans la vallée que creuse la Biesme aux eaux abondantes et aux flots harmo­nieux. Elle y reçoit un petit affluent dévalant du bois de Châtelet et qui répond assez juste­ment au nom qu’il porte : le Ru du Torrent. C’est le lit du ravin que nous avons franchi tout à l’heure.

La route s’élargit de manière à prendre l’apparence d’une place publique villageoise. Des habitations neuves voisinent amicalement avec de plus anciennes dans un ordre non dépourvu de poésie. Parmi les plus modestes, une façade blanche porte, en lettres capitales : « Maison Communale ». Cela fait familier et chaleureux, d’un bon accueil charmant. Sur cinq ou six cents mètres, la route trace ensuite un itinéraire à travers des prairies en suivant le cours de la rivière.

Elle longe aussi la cour de l’école des garçons. À l’heure d’une récréation, il peut arriver qu’un ballon lancé avec trop de vigueur franchisse la clôture et vienne frôler d’un peu près la tête d’un passant distrait. Après s’être insinué sous un gros massif de marronniers d’Inde, voici le pro­meneur amené devant la grille du château. Mais un embranchement, par un élégant pont de pierre, l’invite plutôt à franchir la rivière qui laisse glisser ses eaux sous le mur d’enceinte du parc seigneurial.

Ainsi atteignons-nous le centre de la paroisse. Le cimetière est au pied de la colline, en face. Quelques maisons, et la rue de l’église est à droite. Des jeunes filles et des fillettes rieuses saluent avec gentillesse l’étranger qui s’approche. Entre des jardins alternant avec de coquettes demeures, voici une niche votive ancienne au sommet d’une stèle de calcaire à la blancheur lai­teuse, et, après avoir dépassé les murs aveugles de l’enclos qui veille sur le recueillement du cou­vent et de l’école des sœurs qui prennent ici, l’aspect reposant ou discret d’une abbaye en mini­ature, on se trouve sur le parvis de l’église.

Dédiée à saint Remy, elle date de 18251. Elle est élégante dans le style classique de l’époque de sa construction. D’artistiques petits vitraux en rosace décorent les verrières (souvenir du jubilé de 50 ans de prêtrise de Monseigneur Cerfaux, fils de Presles). On a tôt fait de remarquer celui représentant Sainte Marie d’Oignies qui reproduit l’église paroissiale de cet important hameau d’Aiseau. Une chapelle annexée au bas-côté gauche, consacrée à Notre-Dame de la Salette, abrite le caveau familial des Comtes d’Oultremont, les châtelains du lieu.

Le château est là tout proche : de ses toits imposants, il règne sur un parc de près de 150 hectares prolongé d’une haute ceinture de futaies qui en font une réserve forestière importante et qui abrite d’autres curiosités archéologiques dont nous dirons merveille.

Déjà Saumery dans le tome IV des « Délices du Païs de Liège » fait de Presles et de son château une description longue et enthousiaste, tandis que Remacle Leloup, sur une gravure, très évocatrice du paysage environnant, en fait fumer abondamment les cheminées.

« Ce château, écrit le Chroniqueur du XVIIIe siècle, est toujours un séjour agréable. La Terre qui lui est unie est très seigneuriale. Il appartient à messire Gabriel-Amoris-Joseph de Lierneux, baron de Prèle. »

La Seigneurie relevait de la Principauté de Liège. Avant les Lierneux, elle avait appartenu aux sires de Seraing, puis aux d’Enghien. Les Comtes d’Oultremont possèdent ce domaine par héritage des Lierneux.

Saumery, dans sa notice, signale la découverte, en 1622, dans le parc, d’une caverne fermée d’une grosse pierre qui conservait trois cadavres, deux hommes et une femme dont les têtes étaient ornées de couronnes d’or enrichies de pierres précieuses. Ce trésor fut offert à l’archiduchesse Isabelle. Qu’en est-il advenu ? Sans doute, en aura-t-elle fait don aux sanctuaires dont elle rénovait les pèlerinages.

S’appuyant sur les commentaires du célèbre consul romain, pendant longtemps, il avait été convenu de situer la bataille remportée par César sur les Nerviens, à Presles, que l’on fait dériver de « proelium ». Aujourd’hui cette hypothèse n’est plus retenue par les historiens.

Remarquons en passant, qu’avant 1878, Roselies n’était pas une commune, c’était un hameau de Presles dont la juridiction s’étendait, vers le nord, jusqu’à la Sambre. Une tradition s’était établie que les Nerviens et leurs alliés avaient franchi la rivière à cet endroit et, remontant la pente vers les lisières du Bois de Brou, plus étendu vers le nord qu’il ne l’est aujourd’hui, y bous­culèrent les légions romaines. La découverte en ces lieux d’un cimetière gallo-romain et des vesti­ges d’une villa où l’on a récolté des monnaies des Antonins et des urnes, ne faisait qu’accréditer, dans l’imagination populaire, la légende de la bataille de Presles.

Presles, autant qu’Aiseau et les autres villages des environs, a fourni une abondante mois­son de souvenirs préhistoriques ou gallo-romains.

En 1851, dans le parc d’Oultremont, pendant la construction du château actuel, un dol­men, qu’il fallut briser à coups de mines, apparut avec une caverne renfermant des ossements d’animaux, notamment d’un cerf géant ; on découvrit un cimetière contenant 25 ou 30 squelettes et 3 squelettes séparés, inhumés avec plus de soins, probablement ceux de trois chefs de tribus.

Le parc du château nous réserve encore d’autres surprises. Aussi convient-il d’en parler plus à l’aise.

En juillet 1929, au cours d’une excursion organisée par le Cercle Archéologique de Charleroi, nous eûmes le plaisir de le parcourir. Voici ce que nous en écrivions :

« L’entrée du domaine est impressionnante et témoigne des fastes judicieux d’une grande famille. Le châ­teau a été réédifié, en 1853, par l’architecte français Balat, sur l’emplacement de celui, décrit par Saumery, qui tombait en ruines. Quant au parc il représente un patrimoine opulent rien qu’en futaies de hêtres ou de chênes énormes et si vieux qu’on évoque, en les admirant les druides et que l’on s’étonne de ne point y voir fleurir le gui symbolique. Ailleurs, de hauts peupliers-trembles, des bouquets élevés de pins et d’épicéas, éveillent notre intérêt. Dans les sous-bois voilés d’ombre, croissent les mercuriales à ce point touffues qu’elles y tendent un tapis de velours sombre, tandis qu’à côté, les ravins herbeux ou les clairières distillent au soleil les senteurs d’aromatiques floraisons : marjolaines, serpolets, millepertuis et fougères. »

Toutes ces merveilles se trouvaient, un instant, rassemblées dans le délicieux vallon où serpente, se divise en plusieurs bras, pour alimenter une pièce d’eau, la Biesme qui va glissant et jasant parmi les pierres moussues. Le site y est resté si sauvage, si impressionnant dans son appa­rent abandon à la nature qu’on se croirait, tout-à-coup, replongé dans le recul de la préhistoire aux époques millénaires quand nos ancêtres vivaient dans les cavernes.

Mais, au fait ; il y a des cavernes ; et nous y sommes. Un petit pont de bois franchit la riviè­re et nous voici en face des rochers calcaires qui servirent d’abris à nos plus lointains aïeux.

Aux limites nord du parc, le cours de la rivière se heurte à une sorte de falaise embroussail­lée qu’elle contourne, vers le couchant, de manière à présenter face au sud, trois éta­ges de grottes superposées. Les deux premières, tout en bas, ont servi vraisemblablement de sépultures. On y a découvert des ossements humains entassés avec des attributs mortuaires : armes, poteries. Sur le flanc abrupt de la colline, à mi-chemin de son sommet, s’ouvre le « Trou des Nutons » où ont été recueillis des vestiges du quaternaire moyen et supérieur ou paléolithi­que : des ossements de troglodytes, hommes de petite taille, premiers tailleurs de silex que le froid obligeait à se réfugier dans des antres d’où ils avaient chassé les fauves.

C’est dans cette grotte que l’on a découvert en 1904, la cachette d’un trésor gallo-romain dont s’enorgueillit le Musée de Charleroi. Là fut trouvé le joli bracelet de jade serti d’or portant l’effigie de Caracalla.

On sait qu’un emplacement de villa, où vécut, sans doute, quelque haut personnage, et un tumulus ont été identifiés dans la campagne toute proche qui s’étend au sud d’Aiseau.

Les lieux ont tant d’attraits ; ils sont si reposants, tant peuplés d’enchantements que l’on voudrait s’y attarder plus longtemps, s’y laisser bercer davantage par la plainte du vent dans la haute ramure ou s’y griser, à loisir, aux arômes capiteux des tièdes fourrées ou des berges fleu­ries.

Cependant, si l’on s’achemine vers d’autres découvertes dans les forêts voisines du parc, de charmantes promenades nous inviteront par des sentiers de garde-chasse dans des taillis de vernes, de bouleaux, ou de coudriers, à rencontrer le décor sévère du « ravin du diable » où la tradition populaire veut que se soient tenus de maléfiques rencontres de sorcières et de démons. S’y dressent de gros monolithes de calcaire posés, comme des menhirs, alignés sous leurs hous­ses de lierres, de lichens, de polypodes, ou de scolopendres. L’endroit dans sa solitude agreste est sinistre à souhait en sa beauté frissonnante.

De l’autre côté de la chaussée de Namur, le hameau des « Binches » retiendra aussi notre attention. En 1879, un assez vaste cimetière gallo-romain a été découvert. La plupart des tombes étaient pauvres ; mais, au centre, il y avait une sépulture plus soignée et que garnissait un mobilier plus riche : celle d’un personnage d’un rang plus élevé. Y apparut un coffre en bois d’une essence étrangère. Il tomba en poussière, dès la première tentative de nettoyage, laissant voir aux fouil­leurs : une épingle de coiffure, deux fibules de bronze émaillé, un vase taillé en relief représentant une scène de chasse et des monnaies dont un grand bronze à l’effigie de Marc-Aurèle : objets conservés au Musée de Charleroi 2.

Ajoutons que pour Presles comme pour bien d’autres localités de l’Entre-Sambre-et-Meuse, situées dans un rayon de quinze kilomètres de la zone industrialisée de la Sambre, on voit s’édifier de coquettes habitations modernes sur la colline à l’ouest du village et vers les Binches.

 

1 Ndlr. Voir le dossier « église Saint-Remy »

2 Ndlr. Sous réserve. Cette affirmation n’a pu être vérifiée.

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